Le Déclin

Le Déclin

La désagrégation du monde antique

Cette période faste allait se terminer vers la fin du IIIème siècle.
Dès 248, des invasions s’abattirent sur toutes les frontières de l’Empire et des guerres civiles commencèrent à déchirer les provinces. Au même moment, les Empereurs, effrayés par les progrès du christianisme, prirent la décision de s’y opposer par tous les moyens, y compris les persécutions.

Ce n’est qu’en 313 que l’Empereur Constantin décréta la liberté de tous les cultes, ramenant ainsi la paix civile. A la fin du siècle, sous les Empereurs Gratien et Théodose, le Christianisme devint religion officielle et obligatoire pour tous.

Mais, au IVème siècle, l’Empire Romain dut subir les Grandes Invasions menées par différents peuples germaniques : les Vandales, les Alains, les Burgondes et les Wisigoths. La Provence Orientale fut relativement épargnée par ces envahisseurs : seuls les Wisigoths la traversèrent après la prise de Rome en 413 ; malgré la mort de leur chef, Alaric, ils n’exercèrent que peu de ravages. Toutefois, c’est à cette époque que furent incendiées plusieurs villae, Reydissart I en particulier.

Pendant cette période troublée, la Provence se réfugia dans le christianisme et les fondations monastiques se multiplièrent : le Monastère de Lérins fut fondé entre 400 et 410 sous l’impulsion de Saint Honorat. A Marseille, Saint Cassien fonda les Monastères de Saint Victor, pour les hommes et de Saint Sauveur pour les moniales.

En 476, le dernier Empereur fut déposé par Odoacre qui prit le titre de Roi d’Italie ; toute la Provence était maintenant occupée par les Wisigoths depuis la prise d’Arles ; les vainqueurs exigeaient deux tiers des terres et deux tiers des esclaves, mais ils n’essayèrent pas d’imposer aux habitants leur hérésie arienne. Ce fut un grand bonheur pour les Provençaux d’apprendre que leurs nouveaux maîtres avaient été écrasés à Vouillé, en 508, par les Francs de Clovis, qui , eux, étaient catholiques.
Mais ce furent les Ostrogoths qui vinrent occuper la région et il fallut attendre 536 pour que leur chef Théodoric laisse la place au « regnum Francorum« .
Pour les habitants, la déception fut immense, à la mesure de leur espérance : pour ces guerriers du Nord, la Provence était une province éloignée, un débouché sur la Méditerranée et surtout une région riche qu’il fallait exploiter au maximum. Ils mirent le pays en coupe réglée et le vidèrent de sa substance pour plusieurs siècles.

De plus les nouveaux maîtres étaient déchirés par des querelles de succession et des révolutions de palais et l’anarchie s’installa partout. Pendant quatre siècles, le pays se dégrada de plus en plus avec des conséquences matérielles et spirituelles terribles :  » La région ne fut plus connue que par des sources étrangères, qui de plus ne la concernaient pas directement « .

La fin du Vlème siècle fut marqués par des guerres civiles incessantes, des invasions de Saxons et de Lombards et des épidémies de variole, de dysenterie et de peste. Les villes, les ports, les routes n’étaient plus entretenus, les campagnes étaient désertées, la basse vallée de I’Argens occupée par des marécages pestilentiels.

Au VIIème siècle, cette profonde décadence atteignit même l’Eglise provençale ainsi que les monastères où les moines vivaient dans l’ignorance et la débauche. C’est ainsi qu’Aygulfus qui tentait de réorganiser l’Abbaye de Lérins fut assassiné par les clercs qui refusaient toute contrainte.
Et le déclin de la vie spirituelle et de la vie intellectuelle de la région s’accentua irrémédiablement; les survivances de l’Antiquité s’éteignirent peu à peu. Les échanges commerciaux cessèrent : c’est ainsi que, dès le début du siècle, les céramiques d’Orient et d’Afrique avaient disparu.

Au VIIIème siècle, les évêchés étaient en ruines, les monastères dévastés, les clercs totalement ignorants; il n’y avait même plus de témoins capables de rapporter les événements. C’était un retour à la barbarie des moeurs et à l’adoration des idoles.

Après une tentative de Pépin le Bref de réorganiser la région, et une rémission sous le règne de Charlemagne, la Provence échut à Lothaire, puis devint royaume de Provence sous son fils Charles.
Mais les querelles de succession et l’incurie des hauts fonctionnaires laissèrent le champ libre aux pillards et aux envahisseurs. Après les pirates grecs et les Normands, ce furent les Sarrasins, venus d’Espagne, qui ravagèrent la région . Un certain nombre d’entre eux, débarqués dans le Golfe de Grimaud, s’installèrent sur les hauteurs de Fraxinetum ( La Garde-Freinet).
Dès lors, la terreur régna sur la région : à partir de leur nid d’aigles, les Sarrasins organisaient des expéditions dans tout le sud-est de la France, massacrant les populations, pillant et brûlant indistinctement villae, églises ou monastères. Puis ils se repliaient rapidement sur leur base, en poussant devant eux le bétail et les habitants les plus valides qui commençaient leur nouvelle vie d’esclaves en portant le lourd butin de l’expédition.
Naturellement, les contrées voisines du Fraxinetum furent les premières victimes de cette destruction systématique : après les villae ou pagus du Golfe de Grimaud, ceux de la basse vallée de l’Argens furent détruits les uns après les autres. C’est ainsi que Villa Piscis, Burnis et Vallis furent pris et brûlés, bâtiments et édifices religieux.
Il est possible que les envahisseurs aient utilisé pendant quelques temps l’oppidum Ligure du Castellar comme poste d’observation sur la plaine car les Roquebrunois nomment ce lieu le village Sarrasin ou « lou marri païs« .

Malgré ses murailles, la ville de Fréjus fut, d’après Antelmy, prise d’assaut en 915 et incendiée; ses habitants massacrés, les biens d’Eglise pillés, les archives foulées aux pieds et brûlées. Les rescapés, sans possibilité de défense, abandonnèrent terres et cultures et se dispersèrent dans les forêts ou se concentrèrent dans certaines zones refuges montagneuses (la Sainte Baume, le Luberon, et le Rocher de Roquebrune).

Il fallut l’enlèvement duSaint Abbé Mayeul de Cluny pour que le comte Guillaume d’Arles se décide enfin, en 973, à lever une armée, à prendre d’assaut le repaire de Fraxinetum et à débarrasser la région de ce fléau.

Ainsi donc, une poignée de pirates décidés avait pu terroriser pendant plus d’un siècle une grande province et la ruiner de fond en comble. Leur souvenir devait hanter encore longtemps la région et l’imagerie populaire allait amplifier démesurément leurs méfaits, leur attribuant tous les maux qui avaient frappé la communauté, alors que l’anarchie, la décadence et l’obscurantisme s’étaient installés en Provence depuis plus de quatre siècles.